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littérature américaine - Page 4

  • Froidure de Kate Moses

    Froidure

    de

    Kate Moses

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    "De l'or filtre sous ses paupières. Elle est réveillée. Les somnifères, à présent dissipés, obsolètes comme le souffle, leur expiration la projetant du fond vaseux du sommeil jusqu'à la surface. C'est le matin, ou presque: un lent soleil de décembre apparaît derrière les fenêtres sans rideaux de sa chambre, se heurtant à ses draps froissés, traînant sur son visage sa faible lumière du levant."

    Décembre 1962, Sylvia Plath vient juste de se séparer de Ted Hughes. Elle croit un nouveau départ possible  et elle vient de s'installer à Londres avec ses deux enfants, dans un appartement jadis occupé par le poète Yeats.

    Dans cet hiver froid, bien trop froid, elle peine pourtant à trouver ses repères. Dans son logement encore trop inconfortable. Dans cette solitude avec ses enfants tellement éloignée du bonheur auquel elle aspirait.

    Sans amis, sans téléphone, sans réelle aide, les journées et les nuits passent lentement, peuplées  de mal-être, de cauchemars et de vœux difficiles à exaucer. Ses seules échappées: une visite au zoo, quelques instants de shopping et l'écriture. L'écriture toujours pour retrouver le bonheur passé et éloigner le désespoir qui la hante.

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    Ce roman, je l'avais depuis quelque temps dans ma pile à lire. Et c'est grâce à Charlotte et son club de lecture de février que je l'en ai sorti. J' avais déjà lu autour de Sylvia Plath Les Femmes du Braconnier de Claude Pujade-Renaud et j'étais curieuse de découvrir comment Kate Moses allait appréhender le destin de cette héroïne.

    Dès les premières pages, j'ai été happée par la puissance et la beauté du style, en parfaite adéquation avec le sujet. Certaines phrases, certains paragraphes constituent  de purs bijoux. Je fais notamment référence à celui consacré aux 30 ans de Sylvia, cette promenade à cheval du petit matin où elle établit une sorte de bilan dans une nature apaisante.

    "Si ce n'était pas ce jour-là, ce serait une autre fois: elle serait toujours quittée. Elle le savait. Cette intuition, cette vision profonde de son être, c'était un don qu'elle avait, tout comme le don des mots. C'était son destin, son "wird": ce qui allait advenir. Sa singularité était un motif de fierté. Ariel: esprit de la poésie, lionne de dieu, autel sacrificiel, naissance de l'âme immaculée: tout convergeait, maintenant, et maintenant, et maintenant, tel un martèlement de sabots. Son dieu est mort, encore une fois. La muse flotte au-dessus de sa vie comme une lune. Elle va chevaucher ce destin jusqu'au bout, jusqu'à une extase enflammée, une résurrection sur une colline, un moi authentique dépouillé de tout artifice."

    Le récit débute le 12 décembre 1962 à Londres et suit ainsi pendant toute la fin de ce mois le parcours de Sylvia. Sans cesse, elle oscille entre joie et tristesse, entre espoir et désespoir, entre création et abandon. Comme si elle ne pouvait plus retrouver ses repères, perdue dans un océan du quotidien qui l'engloutirait sans cesse. Au compte-rendu de ce mois si particulier s'intègrent des échappées belles vers Court Green, cette maison-île du Devon où Ted et Sylvia croyaient pouvoir réaliser leurs rêves. Ces bulles de gaieté et de légèreté viennent se heurter parfois à des retours dans un ancien temps plus sombre, où la dépression avait le dessus.

    Cette construction morcelée, telle un puzzle entre passé et présent, m'a beaucoup plu. Tout comme j'ai apprécié le choix narratif d'entendre sans cesse la voix de Sylvia. A l'exception de ce chapitre où Ted s'exprime et se révèle profondément émouvant.

    De plus, ce roman explore le processus de création, ainsi que la difficulté pour Sylvia d'exister par rapport à son mari. Voire sur l'impossibilité de deux génies à coexister. J'ai été particulièrement frappée par les passages où Ted lit les poèmes de sa femme et réalise le tournant important qu'elle est en train de prendre. Entre stupeur, envie, jalousie, on sent bien qu'il hésite et que ses félicitations ont un goût d'amer.

    Autour de Sylvia, gravite une multitude de personnages qui, chacun à leur manière, éclairent cette femme emportée par la froidure de l'hiver. Sa mère Aurélia, bien trop présente. Dido, l'amie qui trahit. Assia, la rivale...Autant de contrepoints féminins qui permettent de dresser le portait de cette poétesse si talentueuse et de mieux comprendre sa solitude criante.

    Bref, vous l'aurez compris: cet ouvrage se révèle un travail d'orfèvre, délicat et sincère, aux images fortes et aux scènes poignantes. Un ouvrage qui nous accompagne longtemps une fois la dernière page tournée. Et qui donne furieusement envie de se plonger dans les poèmes de Sylvia et dans sa Cloche de Détresse.

    Quai Voltaire/La Table ronde, 2004, 334 pages

     

     

  • Circé de Madeline Miller

    Circé

    de

    Madeline Miller

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    "Quand je suis née, le mot désignant ce que j'étais n'existait pas. Ils m'appelèrent donc nymphe, présumant que je serais comme ma mère, mes tantes et des milliers de cousines. Moindres que ceux des déesses mineures, nos pouvoirs étaient si modestes qu'ils garantissaient à peine nos éternités. Nous parlions aux poissons, et soignions les fleurs, cajolions nuages et vagues pour en extraire des gouttes d'eau et de sel. Ce terme de nymphe englobait notre futur en long et en large. Dans notre langue, il ne signifie pas seulement déesse, mais aussi jeune mariée."

    Au fil des pages, se déroule devant nous l'histoire de Circé. Circé, la magicienne. Circé, la sorcière, fille d'Hélios et de Persé. Elle a développé l'art de la "pharmakia", ou magie par les plantes, pour rendre immortel Glaucos, son premier amour. Mais, très vite, ses pouvoirs ont effrayé les dieux et ils l'ont exilée sur une île déserte.

    De cet isolement, Circé en a fait une force. Mais, parfois, son indépendance et son amour de la liberté ont été mis à mal par certains des hommes ou des dieux qui ont croisé son chemin...

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    Toute petite, j'étais fascinée par la mythologie grecque et romaine. Et cette prédilection ne m'a jamais vraiment quittée. Aussi, j'ai été ravie de pouvoir me plonger dans ce roman.

    Je ne connaissais que très peu Circé. Je n'avais retenu d'elle que le passage qui lui était consacré dans l'Odyssée. Elle transformait notamment les compagnons d'Ulysse en cochons. Ce roman m'a donc permis de remplir tous les blancs.

    L'autrice nous offre un récit initiatique dense. De Circé, nous apprenons l'enfance, l'adolescence, les premières amours, la trahison de Glaucos, la découverte de la magie, l'exil, les rencontres qui ont marqué le fil de son existence.... Tous ces événements nous sont contés par la voix même de la magicienne. Cet aspect "mémoires" confère encore plus de force à l'intrigue.

    Chapitre après chapitre, le lecteur est happé, tant par le destin passionnant de l'héroïne que par le portrait des hommes qui gravitent autour d'elle. Dédale, Jason, Ulysse, Télémaque, Hermès... croisent  ainsi sa route.

    J'ai beaucoup aimé le parti pris de Madeline Miller de ne pas forcément respecter le canon autour de ces personnages et de se livrer à une analyse psychologique poussée, notamment en ce qui concerne Ulysse. Sans trop vous en révéler, je ne m'étais pas interrogée dans ce sens. Et les témoignage croisés de Circé, Pénélope et Télémaque livrent une autre perspective sur ce héros grec.

    A cette remise en question de nos certitudes autour des mythes se superpose une réflexion résolument moderne autour de la place de la femme. Dans une société profondément patriarcale, Circé fait figure d'exception. Elle se révèle une femme indépendante, courageuse, cultivée et intelligente. Sans cesse, elle résiste. A la domination masculine. Aux résolutions des dieux. A ses sentiments, parfois, aussi. 

    Les pages se tournent toutes seules. Les rebondissements s'enchaînent. La nature âpre et sauvage nous encercle. Les émotions nous assaillent. Et, bien trop vite, la fin arrive. Que j'aurais aimé rester avec cette magicienne!

    Bref, vous l'aurez compris: ce roman propose un vibrant portrait de femme libre, indépendante, en proie à des émotions quelquefois contradictoires et qui refuse d'être le jouet des hommes ou des dieux. Je ne peux que recommander sa lecture aux amateurs de mythes et à ceux qui souhaitent découvrir les contes mythologiques.

    Rue Fromentin, 2018, 436 pages

     

     

  • Rituels d'Ellison Cooper

    Rituels

    de

    Ellison Cooper

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    "L'officier Wilson Tooby avala une gorgée de café brûlant, les yeux plissés dans la lumière froide du petit matin. Sa voiture de patrouille stationnait, moteur au ralenti, dans une rue résidentielle déserte bordée de cerisiers en fleurs. Les arbres formaient une voûte au-dessus de la route, projetant de longues ombres sur les pelouses et les façades des maisons parfaitement entretenues."

    Dans un quartier de Washington, deux flics patrouillent. Ils ont été appelés car selon les voisins, une mauvaise odeur se dégagerait d'une maison à vendre. Arrivés devant le bâtiment signalé, ils reconnaissent la même maison où un appel au secours aurait été passé. Ils décident donc de rentrer et là, en ouvrant la porte de la cave, une explosion retentit. Les voilà tous les deux blessés. Sur les lieux, les secours et la police découvrent une mise en scène macabre: un cadavre de jeune fille enfermée dans une cage et un chiot à côté, à bout de forces. D'étranges symboles mayas sont également présents sur la scène du crime.

    L'agent Sayer Altair, spécialiste en neurosciences, se voit confier l'enquête. Elle est bien loin de se douter de l'ampleur de ce qui l'attend. Enlèvements, menaces, rebondissements....voilà ce qui va accompagner son quotidien pendant quelques jours. Et surtout, face à elle, un criminel machiavélique et insaisissable.

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    Ce roman, je l'ai découvert grâce au Grand prix des lectrices Elle. Je n'ai pas encore pris le temps de vous parler de cette très belle expérience sur le blog mais j'essaierai de vous faire un retour sur mes six précédentes lectures. Rituels fait partie des ouvrages policiers de la sélection des sept titres que je dois découvrir et noter. Peut-être figurera t'il dans les livres retenus pour les relectures de janvier....Suspense...

    Ce qui m'a immédiatement plu dans ce titre, c'est sa structure narrative. En effet, Ellison Cooper a eu recours à une construction sous la forme de courts chapitres (entre cinq et dix pages en général) et à un style marqué par des phrases efficaces et par de nombreux dialogues. Ainsi, les lieux et les situations se succèdent. De même que les points de vue des différents personnages. L'action ne retombe donc jamais et le lecteur est toujours en alerte. Un peu comme dans une très bonne série policière où les épisodes s'enchaîneraient sans laisser la possibilité au spectateur de reprendre haleine.

    L'enquête policière entremêle des réflexions sur les neurosciences, la gémellité et des emprunts aux rites chamaniques et aux rites de passage vers l'au-delà notamment dans les mythologies égyptienne et grecque. J'ai trouvé cela très original et j'ai apprécié que les actes du tueur en série soient imprégnés de ces éléments. En effet, j'ai eu l'impression d'avoir affaire à un criminel jamais encore rencontré dans ce genre littéraire.

    De plus, les rebondissements sont légion, ce qui continue d'égarer le lecteur jusque dans les ultimes chapitres. Néanmoins, je dois avouer que j'avais commencé à comprendre l'identité de ce ou ces tueurs retors un peu avant l'héroïne mais sans que cela ne gâche la poursuite de l'intrigue.

    Justement arrêtons nous quelques instants sur cette héroïne. Sayer Altair est une trentenaire marquée par plusieurs décès dans son entourage: ses parents alors qu'elle était encore enfant; son fiancé il y a trois ans. Elle correspond au modèle du flic brillant, dévoué à son travail et sans vie personnelle. Un modèle déjà rencontré maintes fois dans ce type de littérature. Sans que cela n'enlève pour autant l'intérêt qu'on peut lui porter. Cette jeune femme se révèle très vite attachante et on prend plaisir à la voir évoluer et s'ouvrir à plusieurs nouvelles personnes dans son entourage. Ellison Cooper a donc réussi ici son pari de donner vie à une protagoniste qu'on aimera retrouver dans les opus suivants.

    De même que je serai contente de revoir la galerie des personnages qui l'entourent: sa grand-mère, son coéquipier ou son voisin, par exemple. Beaucoup d'interactions restent encore à développer. Mais le potentiel existe bien déjà.

    Un des seuls bémols que j'ai rencontré lors de ma lecture réside justement dans une des qualités que je soulignais précédemment. Le style percutant empêche l'autrice de trop fouiller les descriptions et les ambiances. Par exemple, j'aurais aimé plus capter l'atmosphère dans les bureaux du FBI. Certes, on perçoit les problèmes de pression politique et la difficulté de s'affirmer en tant que femme. Mais cela aurait pu encore plus être mis en avant, sans pour autant alourdir l'action.

    Bref, vous l'aurez compris: malgré ce léger regret, j'ai beaucoup apprécié Rituels. Et j'ai hâte de me lancer dans la suite des aventures de Sayer et de ses comparses en 2019.

    Un grand merci au Grand Prix des lectrices Elle 2019 et au Cherche-Midi.

    Le Cherche-midi, 2018, 430 pages